Obtention de preuves dans le cadre de procédures civiles transfrontalières: vers un allègement des démarches en Suisse
La vidéoconférence est aujourd’hui largement utilisée pour l’audition de parties, de témoins et d’experts dans les procédures civiles transfrontalières. En Suisse, le droit en vigueur requiert toutefois une autorisation préalable des autorités pour participer à une audience devant un tribunal étranger par vidéoconférence. Le non-respect de cette exigence est contraire à l’article 271 du Code pénal suisse (CP) et susceptible de constituer une infraction pénale. Afin de faciliter la participation volontaire à des procédures judiciaires étrangères par des moyens de communication électroniques – ce qui répond souvent à l’intérêt des parties séjournant en Suisse –, le Parlement suisse a adopté de nouvelles dispositions sur l’utilisation des moyens de communication électroniques dans le cadre de procédures civiles transfrontalières. À compter du 1er janvier 2026, il ne sera ainsi plus nécessaire d’obtenir une autorisation préalable pour participer à une audience devant un tribunal étranger. Une notification préalable aux autorités suisses suffira, sous réserve du respect de certaines conditions. Les nouvelles dispositions assouplissent également les restrictions applicables à la production volontaire d’informations dans le cadre de procédures civiles étrangères.
Publié: 11 novembre 2025
Partner, Co-Head of Investigations
Associate
| Publié: 11 novembre 2025 | ||
| Auteurs |
Dominique Müller |
Partner, Co-Head of Investigations |
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Susanne Brütsch |
Associate |
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| Expertise |
Litigation and Arbitration Investigations |
Contexte: Restrictions imposées par l’art. 271 CP
En droit suisse, l’interrogatoire ou l’audition d’une personne se trouvant en Suisse dans le cadre d’une procédure civile étrangère constitue un acte officiel accompli pour le compte de l’État étranger. Il en va de même lorsque cet interrogatoire ou cette audition est mené par des moyens de communication électroniques, soit par téléphone ou par vidéoconférence.[1] Par conséquent, un tel interrogatoire ou une telle audition nécessite l’autorisation préalable des autorités suisses. En l’absence d’une telle autorisation, l’obtention de preuves par des moyens de communication électroniques est contraire à l’art. 271 CP, lequel érige en infraction pénale le fait d’agir au nom d’un État étranger sur le territoire suisse.
Tant la pandémie de Covid-19 que la lutte contre le changement climatique ont mis en évidence la nécessité d’adapter la réglementation en vigueur afin de permettre aux personnes séjournant en Suisse de participer volontairement, par téléconférence ou vidéoconférence, à des audiences à l’étranger dans le cadre de procédures étrangères.
En conséquence, en 2021, le Conseil des États suisse (pouvoir législatif) a chargé le Conseil fédéral (pouvoir exécutif) de simplifier le recours aux moyens de communication électroniques dans le cadre des procédures civiles transfrontalières. En 2022, le Conseil fédéral a ainsi présenté un avant-projet destiné à la consultation. En substance, l’avant-projet prévoyait de remplacer l’obligation d’autorisation par une obligation de notification, pour autant que certaines conditions spécifiques de préservation de la souveraineté de la Suisse et de protection de la personne concernée séjournant en Suisse et participant à une audience devant un tribunal étranger soient réunies (en particulier, la confirmation de sa participation volontaire).[2]
Lenz & Staehelin représentant fréquemment des clients parties à des procédures civiles transfrontalières, nous avons soumis nos observations dans le cadre de la procédure de consultation, exprimant ainsi notre soutien à l’avant-projet et contribuant à l’élaboration des nouvelles dispositions du point de vue des praticiens.[3]
En 2024, le Parlement suisse a adopté les modifications correspondantes de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) et autorisé le Conseil fédéral à modifier la déclaration suisse n° 5 à propos des articles 15 à 17 de la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention de preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale (la «Convention de La Haye sur l’obtention de preuves»).[4] Le 5 novembre 2025, le Conseil fédéral a confirmé que ces dispositions entreront en vigueur au 1er janvier 2026.[5]
Régime juridique régissant la participation volontaire à des audiences à l’étranger par des moyens de communication électroniques à partir du 1er janvier 2026
À partir du 1er janvier 2026, les personnes séjournant en Suisse pourront être interrogées ou entendues dans le cadre d’une procédure civile étrangère par téléphone, vidéoconférence ou tout autre moyen de communication électronique de transmission audio ou vidéo, sans autorisation préalable des autorités suisses, sous réserve des exigences suivantes visant à protéger la souveraineté suisse et les droits de la personne concernée:
- La participation à un interrogatoire ou à une audition par des moyens de communication électroniques devra être entièrement volontaire. Une personne séjournant en Suisse devant être interrogée contre sa volonté ne pourra l’être que par le biais de l’entraide judiciaire internationale.
- Les individus soumis à un tel interrogatoire auront le droit de témoigner ou de répondre dans leur langue maternelle. Sur requête, les déclarations essentielles faites par d’autres intervenants au cours de l’audition devront être traduites.
- Si l’audition vise à obtenir des preuves, l’individu aura le droit d’être accompagné par son avocat.
- La date de l’audition ou de l’interrogatoire devra être communiquée à l’avance aux autorités fédérales et à l’autorité cantonale compétente. Si cette notification est effectuée au moins 14 jours avant l’audition ou l’interrogatoire, elle sera réputée être intervenue dans les délais. Lenz & Staehelin a suggéré cette règle dite de «safe harbour» dans le cadre des prises de position lors de la procédure de consultation. En effet, en pratique, il est essentiel pour les parties concernées de pouvoir s’assurer que cette exigence ait été pleinement respectée. Les nouvelles règles prévoient en outre qu’une notification par e-mail est suffisante. Cela n’exclut toutefois pas qu’une notification tardive soit admise par les autorités en cas d’urgence.
- La notification pourra être effectuée par le tribunal étranger, par l’une des parties, par leur avocat suisse ou étranger, ou par l’individu séjournant en Suisse qui participera à l’interrogatoire ou à l’audition (ou son avocat).
- L’autorité cantonale compétente devra pouvoir assister à l’interrogatoire ou à l’audition. À notre sens, les autorités cantonales ne feront probablement pas usage de ce droit, conformément à leur pratique antérieure (lors de la procédure de consultation, nous avions d’ailleurs préconisé la suppression intégrale de cette exigence précisément pour cette raison).
- Le moyen de communication électronique utilisé pour mener l’interrogatoire ou l’audition devra garantir la sécurité des données et les protéger contre tout accès indu ou toute manipulation.
- Les résultats de l’interrogatoire ou de l’audition devront être utilisés exclusivement pour les besoins de la procédure dans le cadre de laquelle les preuves ont été recueillies.
- Les obligations légales de confidentialité demeurent expressément réservées. Ainsi, un individu participant à une audition ou à un interrogatoire par des moyens de communication électronique devra en particulier garder confidentiels les secrets de fabrication et les secrets commerciaux (au sens de l’art. 273 CP) ainsi que les informations soumises au secret bancaire (art. 47 de la Loi sur les banques).
Ce nouveau régime est beaucoup plus souple et considérablement moins contraignant et coûteux que le régime actuel, lequel exige non seulement une notification préalable aux autorités suisses, mais aussi une autorisation expresse de leur part. Il demeure toutefois indispensable qu’une personne participant à une audience à l’étranger et se trouvant en Suisse lors de l’audition ou de l’interrogatoire y participe volontairement. En cas de non-respect des exigences susmentionnées, l’audition ou la mesure d’instruction à l’étranger sera ainsi considérée comme une violation de la souveraineté suisse et de l’art. 271 CP.
Le nouveau régime ne s’applique en principe qu’aux procédures judiciaires étrangères dans un autre État membre de la Convention de La Haye sur l’obtention des preuves. Le Parlement suisse a néanmoins adopté en parallèle une nouvelle disposition dans la LDIP, en vertu de laquelle les règles susmentionnées s’appliquent également aux États qui ne sont pas signataires de la Convention de La Haye sur l’obtention de preuves. Par conséquent, ces règles s’appliqueront à la participation volontaire, par des moyens de communication électronique, à une audition ou un interrogatoire mené par un tribunal étranger dans le cadre d’une procédure civile.
Précisions supplémentaires quant à la production de documents et/ou d’informations dans des procédures à l’étranger
Une autre difficulté rencontrée dans les procédures civiles transfrontalières tient aux restrictions imposées par l’art. 271 CP quant à la production de documents et/ou d’informations par les parties à ces procédures étrangères, séjournant en Suisse. Jusqu’à récemment, la production de documents et/ou d’informations par une partie suisse dans le cadre d’une procédure civile étrangère était considérée comme admissible pour autant que cette production intervenait sur une base volontaire ou, du moins, qu’un refus n’était pas passible de sanctions pénales (par exemple d’outrage au tribunal) par le tribunal étranger en cas de non-respect.
Un arrêt du Tribunal fédéral de 2021– rendu dans le contexte d’une procédure pénale américaine liée au différend fiscal entre les États-Unis et la Suisse – a toutefois remis en cause la légalité de cette approche. En particulier, le Tribunal fédéral semblait n’autoriser la production de documents et/ou d’informations dans le cadre de procédures étrangères que si la partie suisse pouvait «disposer librement» des documents et/ou des informations en question, soit si ceux-ci ne contenaient aucune information confidentielle relative à des tiers (tels que, par exemple, de clients ou d’employés). Une interprétation stricte de cet arrêt laissait entendre que toute production, même volontaire, de documents et/ou d’informations contenant de telles informations par une partie suisse à la procédure étrangère, pouvait exposer celle-ci à une procédure pénale pour violation de l’art. 271 CP.[6] Une telle interprétation rendait la défense des intérêts de parties suisses dans le cadre de procédures civiles étrangères particulièrement plus complexe et plus risquée.
Les nouvelles dispositions adoptées, en particulier l’art. 11 al. 2 LDIP, visent désormais à clarifier la situation: une personne séjournant en Suisse et partie à une procédure civile étrangère peut désormais volontairement produire des documents et/ou des informations dans le cadre de cette procédure, à condition que la demande de production correspondante émanant d’un tribunal étranger (ou du conseil de la partie adverse dans le cadre d’une procédure de «discovery» aux États-Unis) ne soit pas assortie de sanctions pénales en cas de non-respect. Cette demande de production doit également être dûment notifiée à la partie séjournant en Suisse par les voies officielles de l’entraide judiciaire (cf. Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale) ou par l’intermédiaire d’un conseil étranger auprès duquel la partie suisse a élu domicile.
À notre sens, cette nouvelle disposition permet aux parties séjournant en Suisse de produire volontairement des documents et/ou des informations dans une procédure civile étrangère, même si elles ne peuvent pas en «disposer librement». Cela étant, il incombe à la partie concernée de respecter ses obligations légales de confidentialité, telles que le secret bancaire (art. 47 de la Loi sur les banques) et les secrets de fabrication ou commerciaux (au sens de l’art. 273 CP).[7] En outre, les principes susmentionnés ne s’appliquent qu’aux personnes séjournant en Suisse et qui sont parties à une procédure à l’étranger. Les personnes séjournant en Suisse, invitées à produire des documents et/ou des informations pour les besoins d’une procédure à l’étranger opposant d’autres parties sont soumises à des exigences plus strictes. En effet, elles ne peuvent produire des documents et/ou des informations que par le biais de la voie de l’entraide judiciaire en matière civile.
À compter du 1er janvier 2026, l’obtention de preuves en Suisse dans le cadre de procédures civiles étrangères ou transfrontalières devrait ainsi être facilitée et moins contraignante pour les parties séjournant en Suisse, à condition qu’elles y prennent part de manière volontaire. Cela étant, l’art. 271 CP demeure un obstacle – et dans certains cas, un moyen de défense – dans le cadre de procédures étrangères. Cela vaut en particulier pour les procédures pénales, administratives ou réglementaires étrangères, auxquelles la nouvelle réglementation adoptée ne s’applique pas.
[1] Cf. Lignes directrices en matière d’entraide judiciaire internationale en matière civile (dernière mise à jour le 1er juillet 2024), version française disponible sous: https://www.rhf.admin.ch/dam/rhf/fr/data/zivilrecht/wegleitungen/wegleitung-zivilsachen-f.pdf.
[2] Le rapport explicatif, le projet initial et les autres documents relatifs au processus de consultation sont disponibles en allemand, en français et en italien à l'adresse suivante: https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/wirtschaft/gesetzgebung/grenzueberschreitende-zivilprozesse.html.
[3] Les prises de position relatifs à la procédure de consultation peuvent être consultés au moyen du lien suivant: https://www.fedlex.admin.ch/filestore/fedlex.data.admin.ch/eli/dl/proj/2022/18/cons_1/doc_6/de/pdf-a/fedlex-data-admin-ch-eli-dl-proj-2022-18-cons_1-doc_6-de-pdf-a.pdf.
[4] Cf. Message du Conseil fédéral relatif à l’arrêté fédéral concernant le recours aux moyens de communication électroniques dans les procédures civiles internationales du 15 mars 2024, FF 2024 792, disponible en allemand, français et italien sur https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2024/792/fr.
[5] Cf. Communiqué de presse du 5 novembre 2025, disponible en allemand, français et italien sur https://www.news.admin.ch/fr/newnsb/xAQeT4Brhbes.
[6] Cf. à cet égard nos commentaires au sujet de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_216/2020 du 1er novembre 2021, publié dans l'ATF 148 IV 66, in: MÜLLER / DELLI COLLI / BRÜTSCH, Klarere Konturen für Art. 271 Ziff. 1 StGB?, GesKR 1/2022, p. 115 ss.
[7] Cf. Message du Conseil fédéral relatif à l'arrêté fédéral concernant le recours aux moyens de communication électroniques dans les procédures civiles internationales du 15 mars 2024, FF 2024 792, par. 5.2, disponible sur https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2024/792/fr.
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